XVI
UNE AFFAIRE PERSONNELLE

Allday pénétra dans la cabine arrière et posa avec précaution la grande cafetière sur la table. La lumière matinale projetait des motifs lumineux qui se reflétaient sur le plafond, et il fut un long moment avant de pouvoir distinguer la silhouette de Bolitho.

— Que voulez-vous ?

Il tourna la tête et aperçut enfin son commandant, étendu sur l’étroite banquette juste sous l’une des fenêtres ouvertes, le dos calé contre le montant du châssis ; la réverbération ne permettait de distinguer que le contour de son visage. Sa chemise froissée béait jusqu’à la ceinture, et ses cheveux noirs étaient plaqués en désordre sur son front. Il fixait d’un air absent les collines lointaines.

Allday se mordit la lèvre. Il était évident que le commandant n’avait pas dormi : à la lumière on pouvait voir des cernes sous ses yeux et un profond désespoir marquait son visage buriné.

— Je vous ai apporté du café, commandant. J’ai dit à Petch de tenir prêt votre déjeuner.

Il fit le tour de la table à pas mesurés.

— Vous auriez mieux fait de vous coucher. Vous n’avez pas dormi depuis…

— Laissez-moi.

Il n’y avait ni colère ni impatience dans sa voix.

— Si vous voulez vous rendre utile, allez plutôt me chercher du cognac.

Allday jeta un rapide coup d’œil sur le bureau. A côté d’une lettre froissée se trouvait un verre vide. Du carafon, il n’y avait nulle trace.

— Ce n’est pas prudent, commandant.

Le regard que lui lança Bolitho l’effraya.

— Laissez-moi au moins aller vous chercher quelque chose à manger maintenant.

Bolitho semblait ne pas l’entendre.

— Vous rappelez-vous ce qu’elle a dit lorsque nous avons quitté Plymouth, Allday ? Elle nous a dit de prendre soin de nous.

Il se rencogna contre le châssis.

— Pourtant, c’est elle qui est morte pendant que nous étions ici.

D’un geste rapide, il releva une mèche rebelle qui lui tombait sur les yeux et Allday vit la profonde cicatrice blanche imprimée sur sa peau comme une marque au fer rouge. Ce geste, comme tous ceux qui étaient propres à Bolitho, lui était si familier qu’il fut saisi d’une étrange émotion.

— Elle n’aurait jamais voulu que vous vous laissiez abattre, commandant. Quand elle était à bord du vieil Hyperion, en Méditerranée, elle s’est montrée plus courageuse que la plupart des hommes, et je ne l’ai jamais entendue, ne fût-ce qu’une seule fois, se plaindre, malgré les rigueurs de la situation. Elle aurait été peinée de vous voir accablé comme vous l’êtes en ce moment. Souvenez-vous de cette période où nous calfations à Plymouth. Ce fut un beau moment…

Allday reposa les mains sur le bureau, et sa voix se fit presque implorante.

— Vous devriez essayer de penser à cette époque, commandant. Par égard pour elle, et pour vous.

Quelques coups secs contre la porte de la cabine se firent entendre. Allday se retourna en jurant à voix basse.

— Dehors ! J’ai donné des ordres pour que le commandant ne soit pas dérangé.

Le visage du fusilier marin était impavide.

— Veuillez m’excuser, mais je dois informer le commandant qu’un canot a été mis à l’eau et pousse de l’Impulsive.

Allday traversa à grandes enjambées la cabine et claqua la porte.

— Je le lui dirai !

Il frotta impatiemment ses mains sur le devant de sa culotte, réfléchissant à ce qu’il convenait de faire.

Un rapide coup d’œil à la porte fermée, et il comprit au silence de la cabine voisine que le commodore dormait toujours. Il grimaça de colère. Il devait vraisemblablement cuver son vin. Le commandant Herrick arrivait à bord. C’était un ami. Pour autant qu’il pouvait en juger, Herrick lui semblait être le seul être capable de venir en aide à Bolitho.

Il serra les dents. Mais il n’était pas question que Herrick voie Bolitho dans cet état. Pas avec ce visage défait, non rasé, avec ces yeux injectés d’alcool.

— Je vais vous raser, commandant, déclara-t-il d’une voix ferme. Pendant que je vais chercher l’eau à la cuisine, vous devriez boire un peu de ce café.

Il hésita avant d’ajouter :

— C’est elle qui m’avait donné ce paquet quand nous avons quitté Plymouth.

Puis, il se précipita hors de la cabine sans même attendre la réponse.

Bolitho se leva et, pris de nausée, chercha un appui de la main. Il se sentait sale, harassé de fatigue, mais les mots d’Allday l’avaient quelque peu remué et il se força à avancer jusqu’à la table. La gorge nouée, il remplit sa tasse de café. Il tremblait tellement qu’il dut s’y reprendre à deux fois ; il sentait la sueur couler le long de son dos, comme au sortir d’un cauchemar. Mais ce n’était pas un cauchemar : ce qu’il vivait, rien ne pourrait le dissiper, ni maintenant ni jamais.

Il pensa aux tentatives désespérées d’Allday pour apaiser son tourment, aux regards qu’on lui avait lancés lorsqu’il était monté sur le pont cette nuit. Quelques-uns trahissaient pitié ou compassion, comme si, à l’instar d’Allday, ils partageaient sa douleur à leur façon. D’autres l’avaient considéré avec curiosité et une surprise non dissimulée. S’imaginaient-ils que, parce qu’il était leur commandant, il ne devait éprouver ni douleur ni désespoir ? Qu’il était au-dessus de ces sentiments, au-dessus de leur monde de souffrances et de doutes ?

Toute la nuit il avait arpenté le pont supérieur, à peine conscient de ses propres gestes, de l’endroit même où il se trouvait. L’obscurité du ciel et l’abri des voiles lui donnaient un vague sentiment de sécurité et, tandis qu’il déambulait sur le pont désert, il avait eu la drôle de sensation que son navire lui-même retenait son souffle, bridait ses craquements, comme par respect pour son infortune. Puis il s’était réfugié dans la solitude de sa cabine et, assis près de la fenêtre ouverte, avait bu son brandy sec sans même le goûter, les yeux fascinés par la lettre posée sur le bureau, incapable de trouver le courage de la lire. C’était la dernière lettre que Cheney lui avait envoyée ; ses mots ultimes. Des mots qui devaient dire l’espoir, la confiance qu’elle plaçait en lui comme en tous ceux qui partageaient son sort.

Allday s’en revint et posa le rasoir sur le bureau.

— Prêt, commandant ?

Bolitho, d’un air las, se transporta jusqu’à sa chaise.

— Le commandant de l’Impulsive va arriver d’ici peu.

Bolitho opina et, la tête penchée en arrière, s’abandonna enfin, tandis qu’Allday lui étalait la mousse sur le visage. Il entendait des bruits de pas au-dessus de sa tête. Les matelots, faubert en main, s’activaient à briquer le pont. En temps normal, ces bruits familiers avaient le don de l’apaiser, et il aimait à imaginer les hommes qui s’interpellaient gaiement d’un bord à l’autre. Il sentait les mouvements rapides du rasoir sur sa joue et savait qu’Allday l’observait. Rien n’était plus pareil à présent. Retranché derrière la porte close de sa cabine, il se sentait comme coupé de son navire, coupé du reste du monde.

Le mouvement du rasoir marqua une pause. Il entendit Inch crier depuis l’encadrement de la porte :

— Le commandant Herrick monte à bord. Les autres commandants arriveront à huit heures précises.

Bolitho déglutit ; sa langue n’avait pas oublié la brûlure du brandy. Les autres commandants ? Il fit un effort désespéré de mémoire. Des visages flous flottaient comme dans un brouillard : Herrick revenant de son bref entretien avec le commodore, Inch tiraillé entre l’inquiétude et le chagrin, les autres enfin, vagues figures dont l’identité se perdait dans la confusion totale de son esprit.

— Il s’agit d’une nouvelle réunion, commandant, ajouta Inch.

— Oui, merci. Veuillez avoir l’obligeance d’offrir du café au commandant Herrick en attendant.

La porte se referma et il entendit Allday grommeler :

— Une conférence de plus, ça nous fait une belle jambe !

— A-t-on réveillé le commodore ?

Allday acquiesça d’un mouvement de tête.

— Oui, commandant. Petch s’occupe de lui en ce moment.

Sa voix trahissait l’amertume.

— Dois-je demander au commandant Herrick de lui apprendre la nouvelle ?

Il tamponna le visage de Bolitho avec une serviette humide.

— Si je puis me permettre cette liberté, je ne pense pas qu’il soit souhaitable que vous participiez à cette réunion.

Bolitho se leva et laissa Allday lui ôter sa chemise froissée.

— C’est précisément une liberté que vous ne pouvez vous permettre ! Maintenant, je vous prie de finir ce que vous êtes en train de faire et laissez-moi en paix.

Petch sortait de la chambre voisine, l’habit de Pelham-Martin sur le bras. Allday prit le manteau et l’examina à la lumière du jour. Le sang séché formait une tache sombre sous l’éblouissante clarté.

— Pas beaucoup plus gros que la pointe d’une rapière, fit-il en passant un doigt dans la petite déchirure laissée par l’éclat de bois.

Il lança l’habit à Petch avec un air de dégoût manifeste. Bolitho resserra sa cravate, heureux de sentir la fraîcheur de la chemise propre sur sa peau. Le fil des événements lui revenait en mémoire, mais comme tout cela restait étrange ! L’habit à peine déchiré, la volonté délibérée de Pelham-Martin de jouer les invalides, la nécessité même de réfléchir à un plan d’action : autant de choses qui se trouvaient à mille lieues de son horizon.

La perspective de cette rencontre avec les autres commandants le décourageait par avance. Il imaginait les regards curieux, les condoléances, les regards de pitié.

— Dites au commandant Herrick de venir sur l’arrière. Et apportez-moi tout de suite un autre carafon, ordonna-t-il sèchement à Allday qui déjà franchissait le seuil de la cabine.

Il baissa les yeux, incapable de supporter l’anxiété qu’il lisait sur les traits du brave homme. Sa compassion, son profond désir de l’aider le blessaient plus douloureusement encore que n’eussent fait des marques d’indifférence. Allday se serait fait sans doute moins de souci s’il l’avait vu sangloter contre la fenêtre, s’il avait su son envie soudaine de se jeter sur le carafon vide et de le briser en mille éclats contre la voûte sombre du navire.

Herrick entra dans la cabine, son chapeau sous le bras ; un sourire triste flottait sur son visage rond.

— C’est une entrée un peu cavalière, mais je préférais vous voir en tête à tête avant l’arrivée des autres.

Bolitho lui tendit une chaise.

— Merci, Thomas, vous êtes toujours le bienvenu.

Petch entra et posa un nouveau carafon sur le bureau.

— Un verre avant de commencer ?

Bolitho ébaucha un sourire à l’adresse de son ami, mais ses lèvres semblaient figées.

— Oui, cela me fera du bien.

Herrick observa la main qui tremblait tandis que son compagnon penchait la carafe au-dessus des verres.

— J’aimerais vous dire certaines choses avant notre entrevue avec le commodore.

Il buvait par petites lampées.

— Les nouvelles que je rapporte d’Angleterre ne sont pas bonnes. Le blocus est de plus en plus difficile à tenir. A plusieurs reprises ces derniers mois, les Français ont réussi à le forcer ; à Toulon notamment, où ils ont été découverts et repoussés par l’escadre du vice-amiral Hotham.

Il soupira.

— La guerre s’intensifie, et nos supérieurs semblent complètement dépassés par la vivacité des ripostes de l’ennemi.

Il suivit des yeux le mouvement du carafon pendant que Bolitho se remplissait un autre verre à ras bord.

— Lord Howe a confié la flotte de la Manche au vicomte Bridport, nous pouvons donc espérer quelques améliorations de ce côté-là.

Bolitho exposa son verre à la lumière.

— Et en ce qui nous concerne, Thomas ? Quand est-ce que nos renforts arriveront ? Juste à temps pour assister à la victoire finale de Lequiller, je suppose !

Herrick le considéra avec gravité.

— Il n’y aura pas d’autres navires. Le mien est le seul à avoir été dépêché auprès de l’escadre.

Bolitho leva les yeux et hocha la tête.

— Voilà une nouvelle qui a dû intéresser tout particulièrement notre commodore !

Il reprit un peu de brandy et se cala contre le dossier de sa chaise ; il sentait l’alcool lui brûler l’estomac comme un fer rouge.

— Il n’a fait aucun commentaire, spécifia Herrick.

Il posa son verre sur le bureau, mais le couvrit de sa main quand Bolitho fit mine de le resservir.

— Nous devons le pousser à agir. J’ai parlé avec Fitzmaurice et le jeune Farquhar, et je sais ce que vous pensez des intentions de Lequiller. Vous voyez juste, me semble-t-il, mais le temps joue contre nous. A moins de forcer les Français à engager une action, nous perdons notre temps ici et serions bien plus utiles pour seconder la flotte.

— Vous en avez discuté avec eux, n’est-ce pas ?

Herrick baissa les yeux.

— Oui.

— Et qu’avez-vous appris d’autre ?

— Que tous les succès remportés par cette escadre vous reviennent de droit.

Herrick, les traits crispés, fut soudain debout.

— J’ai vu le feu bien des fois, et nous avons navigué de conserve dans les pires situations qui se puissent rêver. Vous savez très bien ce que notre amitié représente pour moi, et que je suis prêt à mourir pour vous ici, maintenant, si je pensais que cela pouvait vous aider. A cause de cela, à cause de ce que nous avons vu et affronté ensemble, je crois avoir gagné le droit…

Il hésita et Bolitho le coupa :

— … le droit ?

— Le droit de te parler franchement, au risque même de détruire notre amitié.

Le regard de Bolitho se perdit au loin.

— Eh bien ?

— Pendant toutes ces années, jamais je ne t’ai vu dans un tel état, dit-il en désignant d’un geste vague la carafe de liqueur. Tu as toujours été celui qui aidait et comprenait les autres, quoi qu’il t’en coûtât. La perte de Cheney est une douleur immense. Elle comptait aussi beaucoup pour moi, comme tu le sais. Il n’est pas un seul homme à bord, parmi ceux qui l’ont connue, qui ne partage ton chagrin.

Il ajouta durement :

— C’est là une affaire personnelle soit, mais ton attitude va à l’encontre de tout ce que tu prônais jadis, pour toi-même et pour les autres. Tu n’as pas le droit de te laisser submerger par la douleur au moment où nous avons le plus grand besoin de toi.

Bolitho le regarda froidement.

— C’est tout ?

— Pas encore. Tu me disais souvent que la responsabilité et l’autorité étaient des privilèges, et non des dus. Lorsque nous servions sur nos frégates, il en allait bien différemment : seules nos vies étaient en jeu. Ici, nos quelques navires peuvent décider de grands événements, dont nous ne soupçonnons même pas l’importance.

Il lança un regard dur vers la porte de la cabine.

— Et quand nous avons besoin d’un exemple, qu’avons-nous ? Un homme tellement dépité, tellement amer qu’il est incapable de voir plus loin que le bout de son nez.

Il se retourna et fit face à Bolitho, les yeux remplis d’émotion mais l’air résolu.

— C’est à toi de nous montrer l’exemple : tu es le commandant de l’Hyperion, tu as toujours œuvré avec honneur et courage, souvent au mépris de ta carrière.

Il inspira profondément.

— Toi, que Cheney Seton avait choisi pour époux.

Bolitho entendit au loin le son strident des sifflets, le raclement des canots qui se rangeaient à couple. La cabine lui semblait flotter dans un brouillard ; pas un mot de colère, pas une remarque acerbe ne sortit de sa bouche. Il se tenait figé près du bureau. Herrick, s’avançant vers lui, lui prit les mains.

— Crois-moi, Richard, je sais combien tu souffres – il le regarda droit dans les yeux. Ne l’oublie pas.

Bolitho réprima un léger frisson.

— Merci, Thomas. Rien jamais ne pourra briser notre amitié. Et me dire franchement ce que tu penses ne saurait en aucun cas l’entamer, sache-le.

Herrick hocha la tête mais ne relâcha pas son étreinte.

— J’ai été officier de marine pendant suffisamment de temps pour savoir que ce ne sont pas des gens comme ton Pelham-Martin qui comptent. Toi et tes semblables, qui avez trouvé le temps de penser, de faire des plans pour les autres, vous décidez finalement de ce qui est juste ou non pour notre cause. Et un jour, peut-être, au cours de notre vie, nous verrons notre flotte gagner grâce à cet exemple. Nous verrons des hommes choisir de servir le roi par vocation, et non plus subir, contraints et forcés, une existence dictée par le seul caprice des puissants.

Un vague sourire effleura ses lèvres.

— Les tyrans et les sots despotes disparaissent dans la fumée du vrai danger.

Bolitho avala péniblement sa salive.

— Parfois je pense que je suis un mauvais exemple pour toi, Thomas. Tu as toujours été un idéaliste, mais maintenant qu’on t’a confié un commandement, tu dois composer avec ton idéal, déjà heureux si tu peux te dire que tu as fait quelques progrès.

Puis avec un franc sourire :

— Bon, allons saluer les autres.

Il jeta un long regard sur le carafon et ajouta doucement :

— De toute manière, cela ne console pas vraiment !

Mais plus tard, debout avec les autres commandants au chevet de Pelham-Martin, il comprit que ce qui l’attendait serait pire encore que ce qu’il avait pu imaginer.

La chaleur de la petite cabine était oppressante ; l’écoutille avait été fermée et seul un petit sabord entrebâillé permettait à l’air d’entrer. A en juger par les assiettes vides à côté de la couchette, le commodore s’était régalé d’un copieux déjeuner ; l’atmosphère confinée de la pièce était chargée de forts relents de brandy et de sueur.

Pelham-Martin paraissait dans le même état qu’auparavant. Son visage rondouillard luisait et ses joues étaient rouges de chaleur. Avec son drap remonté jusqu’au cou, il avait tout d’une vieille baudruche, mais non point de l’officier supérieur dont ils attendaient les ordres.

— Nous sommes tous là, commodore, annonça Bolitho.

Il jeta un coup d’œil vers les autres, mais il se sentait comme un étranger parmi ces visages figés dans des expressions diverses. Fitzmaurice affichait un air sinistre et inquiet, tandis que Farquhar semblait plus irrité que véritablement soucieux de l’état du commodore. A côté de la mine résolue de Herrick, les traits de Lambe, le jeune commandant du Dasher, exprimaient de toute évidence une sincère détresse. Incapable de détacher son regard du visage de Pelham-Martin, il fixait la couchette d’un air égaré.

Le commodore se passa la langue sur les lèvres et commença d’une voix pâteuse :

— Vous avez tous entendu les nouvelles rapportées par le commandant Herrick, et vous mesurez sans doute dans quelle impasse nous nous trouvons.

Il poussa un soupir rauque.

— Il est heureux que j’aie ordonné au Nisus de partir au moment opportun. Ce sera à d’autres de décider d’une ligne d’action si jamais Lequiller retourne en France, ou dans tout autre pays où le mèneront ses plans.

— Quelles sont vos intentions en ce qui nous concerne ? demanda Fitzmaurice.

— Sans le reste de ma flotte, que puis-je faire ?

Il eut une moue ; on eût dit un gamin joufflu, prêt à bouder.

— On m’a confié une tâche impossible. Je n’ai pas l’intention de prêter le flanc à nos ennemis en partant en chasse à l’aveuglette !

— Je pense que le commandant Bolitho a raison, avança précautionneusement Herrick. Ce Perez de Las Mercedes pourrait être un pion important pour les Français s’il leur prenait l’idée de susciter une rébellion et de nous brouiller avec la noblesse espagnole.

Les yeux du commodore se tournèrent vers lui.

— Suggérez-vous que je doive conduire cette escadre à cinq mille milles d’ici sur cette seule rumeur, stupide et infondée ?

Il tressaillit et laissa sa tête retomber sur l’oreiller taché de sueur.

— Si vous imaginez cela, Herrick, c’est que vous dépassez en stupidité ce que je voulais bien vous accorder.

Fitzmaurice fixa Bolitho, dans l’attente d’une réaction de sa part.

— Je pense que vous devriez prendre garde à votre blessure, commodore, fit-il pour couper court. Ce n’est pas prudent de la laisser sans soins.

Pelham-Martin se renfrogna.

— C’est tout à votre honneur de vous en inquiéter. Vos collègues n’ont pas eu ce souci.

Bolitho serra les poings et fixa la cloison au-dessus de la couchette. La chaleur dans la pièce, le brandy et cette accablante sensation de défaite le rendaient presque indifférent à la tension qui régnait autour de lui. Son esprit était ailleurs, tenaillé par le désespoir. Il n’arrivait pas à détacher son regard de la cloison. C’était ici, dans cette même couchette, que Cheney avait dormi durant la traversée de Gibraltar à Cozar. Dans cette même cabine, sur cette même couchette, malgré la distance qui les séparait, qu’il s’était senti d’heure en heure plus proche d’elle…

Tous les regards se tournèrent vers lui quand il dit sèchement :

— Il n’y a pas d’autre solution. Vous devez lui donner la chasse !

Son regard avait toujours la même fixité.

— Le commandant Farquhar a fait des prisonniers lors de la prise du navire, entre autres le commandant. Nous devrions être capables d’en sortir quelque chose.

La colère de Pelham-Martin se mua à son encontre en ironie triomphante.

— Vous n’êtes donc pas au courant ? Farquhar n’a rien trouvé à bord, ni document ni ordre de mission !

Farquhar se retourna vers Bolitho qui lui lançait un œil interrogateur.

— C’est vrai. Tous les documents ont été jetés à l’eau lorsque nous nous approchions pour livrer bataille. Le premier lieutenant a été tué ; seul le commandant serait susceptible de nous fournir des renseignements, mais il n’est pas homme à trahir.

Il haussa les épaules.

— Je suis désolé, mais je n’ai rien pu faire.

Pelham-Martin se tortilla dans ses draps.

— Je voudrais me changer. Qu’on appelle mon valet.

Il releva légèrement la tête.

— Ce sera tout, messieurs. Je n’ai rien d’autre à ajouter dans l’immédiat.

Ils sortirent un à un, regagnèrent en silence la cabine de Bolitho, et se campèrent devant les fenêtres ouvertes.

— Il semble que ce soit la fin ! commenta amèrement Farquhar.

Pas un ne bougeait, pas un n’aurait le courage de franchir le premier pas, Bolitho en était sûr.

— Outrepasser les ordres du commodore équivaut à faire fi de ses fonctions, déclara-t-il posément.

Il les dévisagea tour à tour.

— La seule façon de le forcer à changer de tactique, c’est de le relever de son commandement.

Sa voix restait calme, mais ses mots les avaient frappés de stupeur.

— Je ne vais pas vous compromettre davantage en vous demandant ce que vous pensez de nos chances de succès. Le commodore est blessé. A quel point, nous ne pouvons le savoir sans un nouvel examen, et cela, il ne le permettra pas. Pour le remplacer, je dois, en tant que commandant le plus ancien, lui en parler, et lui demander la permission de faire amener sa marque.

Il s’avança jusqu’au bureau et effleura des doigts le carafon.

— Après cela, je serai pleinement engagé, à tort ou à raison, et ceux qui me suivront le seront aussi.

— Je vous suis, assura Herrick d’une voix ferme, tout en lui tendant la main.

Bolitho sourit.

— Réfléchissez avant de plonger dans cet abîme. Si le commodore recouvre la santé et dénonce notre action, il n’y aura qu’un verdict. Et même s’il ne guérit pas, ce que nous faisons sera considéré comme un acte de trahison, voire de mutinerie, d’autant que nos chances de réussite sont plus minces.

Fitzmaurice l’étudia d’un air sinistre.

— L’affaire est grave, dangereuse même. Je préférerais essuyer cent bordées plutôt que d’avoir à assumer pareille décision.

Bolitho fit quelques pas dans la pièce et s’arrêta devant son épée accrochée à la cloison.

— Considérez vos choix avec attention. Si vous restez à l’ancre ici jusqu’à ce que le commodore se remette et soit en état de changer ses plans, on pourra vous en faire reproche, mais vous ne pourrez en aucun cas être blâmés d’avoir obéi à ses derniers ordres. Alors que… – il hésita un instant – … si vous me suivez, vous risquez de connaître d’ici peu la disgrâce, voire pis encore.

— Auriez-vous déjà pris votre décision ? insinua calmement Farquhar.

Il fit encore quelques pas et s’arrêta devant sa vieille épée.

— Voilà qui me rappelle quelques souvenirs…

Puis il ajouta :

— Pour ma part, mon choix est fait.

Il regarda les autres.

— Je suis d’avis de continuer la chasse.

Bolitho se retourna et dévisagea Farquhar avec gravité. Ce dernier était celui qui, parmi tous, avait, peut-être, le plus à perdre. Il était étrange de se rappeler qu’il avait été aspirant alors que Herrick était son premier lieutenant. A présent, il était commandant, et suffisamment jeune et ambitieux pour pouvoir briguer les postes les plus élevés qui pourraient s’offrir. La réaction de Herrick, immédiate et spontanée, ne l’avait guère étonné. Le fidèle et loyal Herrick n’avait même pas pris le temps de réfléchir aux terribles conséquences de cette conspiration soudaine. Fitzmaurice, lui, suivrait les autres ; quant à Lambe, il était trop jeune pour être sérieusement impliqué, quelle que fût la suite des événements.

Il serra les poings derrière son dos et essaya de dissiper les derniers doutes de son esprit. Était-il tout simplement en train d’examiner leurs réactions ou avait-il tout prévu depuis le début ?

Il s’entendit demander :

— Le commandant français est-il sous bonne garde à terre ?

Farquhar, les yeux toujours rivés sur le visage de Bolitho, fit un signe de tête négatif.

— Non. Je l’ai fait enfermer avec le reste de ses officiers à bord du Spartan. Il s’appelle Poulain ; il m’a tout l’air d’un homme de fer.

Bolitho décrocha l’épée et la fit tourner dans ses mains. Tant de voyages, tant de batailles contre les ennemis de son pays… Elle figurait dans presque tous les portraits de la vieille maison de Falmouth – des capitaines de vaisseau et des amiraux, tombés dans l’oubli aujourd’hui, tout comme leurs navires et leurs batailles. Il aurait eu un fils pour la porter un jour… Mais peut-être était-ce mieux ainsi. Si cette épée devait être marquée par le déshonneur, mieux valait l’oublier, comme on l’oublierait sans doute lui-même à son tour.

— Amenez le commandant Poulain à bord de l’Hyperion avec ses principaux officiers.

Il s’arrêta en voyant l’inquiétude se dessiner sur le visage de Herrick.

— Je veux aussi dix de ses matelots.

— Alors, nous sommes d’accord ? lança Herrick d’une voix rauque.

— On dirait.

Bolitho hocha lentement la tête.

— J’espère que vous n’aurez jamais à regretter votre décision.

Farquhar prit son chapeau et conclut avec sang-froid :

— Au moins, nous sommes sûrs d’une chose. Lequiller n’a plus aucune frégate maintenant que nous avons pris la Thetis. Ce qui nous fait défaut en puissance sera compensé par notre rapidité.

Il esquissa un bref sourire.

— Poulain sera aussi curieux que je le suis quand il recevra sa sommation. Il semble plus concerné par son fils qui est lieutenant sous ses ordres que par la perte de son vaisseau. Lequiller doit avoir insufflé une grande confiance en la victoire chez ses subordonnés !

Puis, tout en ajustant son chapeau sur sa tête, il ajouta :

— Pour ma part, je n’accepterais pas aussi facilement la perte de mon vaisseau, quel qu’en fût l’enjeu !

Fitzmaurice le regarda partir, puis demanda :

— Quand allez-vous annoncer tout cela au commodore ?

Il n’avait plus qu’un filet de voix, et Bolitho eut presque pitié de lui. Fitzmaurice n’avait aucune influence, hormis celle que pouvaient lui valoir son grade et sa bravoure. Et il lui serait de peu de consolation de se dire qu’il n’était pas seul à l’heure de la décision.

— J’y vais tout de suite. Mais si vous pouvez rester ici un instant, je monte d’abord sur le pont, où j’ai à discuter avec Allday d’une affaire qui ne saurait attendre.

Il reposa l’épée sur son râtelier et se dirigea vers la porte. En refermant la porte derrière lui, Lambe eut cette phrase irritée :

— Mon Dieu, comment peut-il rester si calme alors que sa propre tête est en jeu !

— C’est une question que je me suis souvent posée, rêva tout haut Herrick.

Il pensait aux yeux de Bolitho et à la douleur qu’ils reflétaient tandis qu’il exprimait à voix haute ses pensées.

— Et je n’ai toujours pas trouvé la réponse.

 

Moins d’une heure plus tard, tandis que les deux cloches du gaillard d’avant piquaient leurs coups, Bolitho arpentait à pas mesurés la dunette ; puis il resta un long moment appuyé contre la lisse. Le soleil brillait avec éclat ; voiles et vergues projetaient sur les flots leurs ombres noires, où le clapotis des lames contre les navires au mouillage annonçait l’arrivée d’un vent frais malgré la chaleur qui se faisait de plus en plus oppressante.

Une singulière quiétude régnait à bord : il voyait les regards inquiets des matelots alignés le long des passavants et les gestes en suspens de ceux qui travaillaient dans la mâture, comme dans l’attente du drame.

Au centre du pont principal, les prisonniers français étaient encadrés par un carré de fusiliers. Eux aussi portaient des regards inquiets sur la silhouette solitaire qui se tenait contre la lisse du gaillard d’arrière.

Le capitaine Dawson traversa le pont et salua. Ses traits trahissaient le sérieux en même temps qu’une vague angoisse.

— Prêts, commandant.

— Très bien.

Bolitho fit face à la brise qui fraîchissait et respira profondément. Il entendit des bottes claquer derrière lui et se retourna. C’étaient Farquhar et une escorte de fusiliers, et avec eux le commandant français. Il était vieux pour son grade mais une vive impression de compétence et de confiance se dégageait de tout son être. Un homme de fer, comme l’avait laissé entendre Farquhar.

— Parlez-vous l’anglais, commandant ?

Bolitho le fixait droit dans les yeux ; sa voix était calme, mais il avait la gorge toute sèche en sentant tous ces regards tournés vers lui.

— Quand je le veux, répondit le commandant Poulain sans sourciller. Mais je n’ai rien à ajouter à ce que j’ai déjà dit à votre jeune officier ici présent.

Bolitho hocha la tête.

— Ah, oui… Le jeune officier qui s’est emparé de votre navire. Oui, je comprends.

Les yeux de Poulain brillèrent de colère.

— Je ne vous dirai rien d’autre. Je connais mes droits et le code d’honneur si cher à vos esprits décadents !

Bolitho vit Dawson se mordre les lèvres, mais il continua comme si de rien n’était.

— Je préférerais ne pas discuter de ces questions d’honneur, monsieur. Je sais que lorsque le Spartan est passé entre les récifs à Pascua, il a découvert l’épave de la goélette hollandaise, la Fauna, détruite il me semble par vos canons alors qu’elle essayait de s’échapper.

Poulain restait glacial.

— C’est la guerre. Il n’y a pas de place pour les sentiments.

— Mais elle n’était pas armée et transportait des pêcheurs sans défense et leur famille.

Bolitho serra les poings dans son dos, résolu à poursuivre cette discussion sans trahir la moindre émotion :

— Je vous répète qu’il est inutile de parler de code d’honneur.

— Alors je voudrais être débarqué.

La bouche de Poulain esquissa un léger sourire.

— Je pourrais sans nul doute être échangé contre quelques-uns des nombreux prisonniers que mon pays a faits, non ?

Bolitho hocha la tête.

— Sans aucun doute, commandant. Mais avant tout, il y a un détail que je veux éclaircir, dit-il sans le quitter des yeux. J’aimerais connaître votre destination une fois vos réparations terminées, autrement dit l’endroit où votre vice-amiral Lequiller a l’intention de lancer son attaque.

Pendant un bref instant, les yeux du Français brillèrent de surprise. Puis, son visage se referma et il reprit contenance.

— Je ne sais rien. Quoi qu’il en soit, même si je savais quelque chose, je ne vous dirais rien.

— Nous savons pertinemment tous deux que vous mentez.

Bolitho sentait la sueur couler le long de son dos et de sa poitrine, sa chemise collait à sa peau. Il reprit :

— Lequiller a quitté la Gironde sur ordre. Il a exécuté la première partie de sa mission à Las Mercedes en mettant la main sur le San Leandro. Je veux connaître le reste de sa mission, rien de plus.

— Vous perdez la raison !

Bolitho entendait la respiration saccadée d’Inch ; l’un des fusiliers marins manipulait nerveusement sa baïonnette. Il s’éloigna et gagna le bord opposé de la dunette. Le soleil lui brûlait les épaules et il se sentait pris de vertiges. Le brandy qu’il avait ingurgité lui brûlait l’estomac, mais il sentait peser sur lui ce silence, et le regard des hommes qui se trouvaient amassés sur le pont du Spartan tout proche.

— Monsieur Tomlin, dégagez le passavant bâbord !

Il n’eut pas besoin de forcer la voix : les hommes se replièrent aussitôt vers le gaillard d’avant ; on eût dit qu’ils craignaient eux aussi de briser le silence.

Sans tourner la tête, il poursuivit :

— Maintenant, commandant Poulain, je vais abattre l’un de vos hommes. L’exécuter, si vous préférez ce terme.

Il durcit le ton :

— Peut-être vous souvenez-vous de ces prisonniers qui furent pendus à bord de votre vaisseau amiral ! Cela devrait vous aider à prendre une décision.

Deux tuniques rouges s’avancèrent doucement le long de la passerelle bâbord, leur uniforme luisant de l’éclat du sang frais dans l’éblouissante lumière. Entre eux, les yeux bandés et les bras liés, se tenait un homme portant les insignes de maître.

Le lieutenant des fusiliers marins suivait ; il déclara, du ton le plus formel :

— Prisonnier et escorte prêts, commandant.

— Très bien, monsieur Hicks.

Bolitho tendit la main.

— Un pistolet, je vous prie.

Il s’avança à pas lents et mesurés le long de la passerelle, au-dessus des canons de douze, et passa devant la rangée de chaloupes, le pistolet pendant négligemment au bout de son bras. A mi-chemin, il se retourna et regarda les hommes rassemblés sur le gaillard d’arrière ; sa vue était troublée par la tension à laquelle il était soumis.

— Eh bien, commandant Poulain ?

— Vous serez maudit pour cela !

Poulain avança d’un pas mais fut contenu par les fusiliers.

— Vous vous dites commandant, mais vous n’êtes pas digne de vivre !

Bolitho pivota sur les talons et, tandis que les fusiliers s’écartaient, il braqua son pistolet et tira. La détonation fut terrible et plus d’un matelot laissa échapper un cri d’horreur. Le condamné fut projeté contre le bastingage et s’effondra lourdement sur le passavant. Un tressaillement parcourut ses jambes, puis il se figea.

Le pistolet encore fumant, il dévisagea pendant plusieurs secondes le commandant français. La voix de Poulain résonna comme si on l’étranglait.

— La France n’oubliera pas cela ! Vous êtes un boucher ! Vous pouvez me tuer, moi et tous mes hommes, cela ne vous mènera à rien !

Il se débattait pour se libérer de l’emprise de ses gardiens.

— Je crache sur vous et sur votre navire !

Puis il se retourna comme deux autres tuniques rouges surgissaient au bout de la passerelle. Bolitho vit son visage se décomposer en l’entendant prononcer :

— Pas tous vos hommes, simplement votre fils.

Il fit un signe à Hicks et le jeune officier français, les yeux bandés, fut conduit par les deux fusiliers le long de la passerelle, sous les regards médusés des hommes encore sous le choc.

— Un autre pistolet, monsieur Hicks !

Il dut le serrer de toutes ses forces pour empêcher sa main de trembler.

— Vous avez une minute !

Il leva son arme et la pointa sur la poitrine du lieutenant français ; l’équipage et les fusiliers immobiles semblaient s’être évanouis dans un brouillard. Très lentement, il ramena en arrière le chien, et le déclic fit vaciller d’émotion un fusilier.

— Arrêtez !

Ce cri sortait de la gorge de Poulain.

— Ne tirez pas ! Par pitié, pas mon fils !

Bolitho ne bougea pas, mais baissa légèrement le pistolet.

— J’attends toujours, commandant !

— J’ai mes ordres écrits sur moi, hurla Poulain. Ils sont cousus dans mon manteau.

Bolitho se pencha et pressa son bras contre son front. Il entendit alors la voix de Farquhar, comme venue de très loin.

— Je les ai.

Il tendit le pistolet à Hicks et se dirigea à pas lents vers le gaillard d’arrière.

— Merci, commandant. Je ne suis pas fier de ce que j’ai fait. Mais comme vous me l’avez opinément fait remarquer, c’est la guerre. A présent vous allez être débarqué et placé sous la garde du gouverneur hollandais.

Il suivit des yeux le lieutenant que l’on reconduisait vers le pont inférieur et ajouta froidement :

— La leçon vous sera peut-être profitable, pour le cas où vous seriez tenté à nouveau de tuer des gens sans défense.

Poulain le fusilla du regard :

— Assassin vous-même !

— Pas tout à fait, commandant, répliqua Bolitho d’une voix lasse.

Il fit un geste en direction de la passerelle.

— Vous pouvez vous relever maintenant, Allday, c’est fini.

Un immense soupir s’échappa des rangs, lorsque les matelots virent le prétendu cadavre se relever entre les deux fusiliers qui arboraient un sourire épanoui.

— Comme vous le voyez, commandant, il a bien joué son rôle et il ne s’en porte pas plus mal !

Puis il se détourna, écœuré par la consternation et la honte qui se lisaient sur la figure de Poulain.

Herrick sortit de sous la dunette ; en trois enjambées, il fut à ses côtés.

— C’était moins une !

Il prit Bolitho par le bras et, l’entraînant à sa suite, traversa la foule des marins dont le large sourire trahissait le soulagement.

— J’étais loin de soupçonner une chose pareille, et les autres non plus.

Bolitho écouta les rires et les cris derrière lui et revit la mine consternée de l’autre commandant.

— Ce n’était pas une tâche particulièrement agréable, Thomas.

Il s’arrêta près de l’échelle et observa ses mains, qu’il appréhendait de voir trembler.

— Auriez-vous vraiment tué le lieutenant si Poulain avait résisté plus longtemps ? voulait savoir Herrick.

Il regarda les prisonniers que l’on conduisait aux canots.

— Auriez-vous pu le faire ?

Le regard de Bolitho se perdit dans le vague.

— Je ne sais pas, Thomas. Il secoua la tête.

— Par Dieu, je n’en sais rien !

 

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